Ces courts voyages en lecture invitent à flâner, observer, apprendre, guidé par un passé qui a marqué les lieux et qui, bien souvent, nous concerne à travers la colonisation. Ils ont pour ambition de procurer des moments d'évasion, mais aussi d'ouvrir des portes sur le destin des peuples.

La loi du plus fort

Les enfants qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leurs maris, si les maris et femmes ont des maîtres différents.

A l'origine, le Code Noir est une ordonnance de Louis XIV promulguée en mars 1685. Elle apparaît pour la première fois sur les murs en 1688, à Saint-Domingue où un édit ordonne que le Code Noir soit diffusé " dans toutes les paroisses de la Colonie, pour que personne ne puisse le violer par malice ou par ignorance ". Rapportées par les passagers du Saint-Jean Baptiste en décembre 1689, les premières notions du Code Noir sont introduites à Bourbon par le gouverneur Vauboulon. La version mascarine de 1723 diffère peu du texte initial de 1685. Si ce n'est par la disparition de la prescription contre les Juifs qui débute l'ordonnance de Louis XIV. Le fondement juridique de l'esclavage s'effrite peu à peu au XIXe siècle. Le Code Noir subit des modifications qui tentent de donner une apparence plus humaine au statut d'objet de l'esclave. Les réformes de Louis-Philippe de 1845 et 1846 annoncent l'abolition. Sous-secrétaire d'Etat aux colonies de la IIe République, Victor Schœlcher signe le 27 avril 1848 le décret abolissant l'esclavage dans les colonies françaises. À La Réunion, qui compte 62 000 esclaves, l'émancipation est proclamée le 18 octobre 1848 par le commissaire général de la République Sarda Garriga. Elle entre en vigueur deux mois plus tard, le 20 décembre. 

 

Art. 1

Tous les esclaves qui se trouvent dans les îles de Bourbon, de France et autres établissements voisins, seront instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine, et baptisés ; ordonnons aux habitants qui achèteront des nègres nouvellement arrivés, de les faire instruire et baptiser dans le temps convenable, à peine d’amende arbitraire […].

 

Art. 3

Ne seront préposés aucun commandeur à la direction des nègres, qu’ils ne fassent profession de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés, et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté la dite direction.

 

Art. 4

Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient d’observer régulièrement les jours de Dimanche et de fêtes ; leur défendons de travailler, ni de faire travailler leurs esclaves aux dits jours, depuis l’heure de minuit jusqu’à l’autre minuit, à la culture de la terre et à tous autres ouvrages, à peine d’amende et de punition arbitraire contre les maîtres et de confiscation des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail ; pourront néanmoins envoyer leurs esclaves au marché.

 

Art. 7

Défendons à nos sujets blancs de l’un et de l’autre sexe de contracter mariage avec les noirs, à peine de punition et d’amende arbitraire, et à tous curés, prêtres ou missionnaires chrétiens séculiers ou réguliers, et même aux marins des vaisseaux, de les marier ; défendons aussi à nos dits sujets blancs, même aux noirs affranchis ou nés libres, de vivre en concubinage avec des esclaves, voulons que ceux qui auront eu un ou plusieurs enfants d’une pareille conjonction, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, soient condamnés chacun à une amende de trois cents livres, et s’ils sont maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu les dits enfants, voulons qu’outre l’amende ils soient privés tant de l’esclave que des enfants, et qu’ils soient adjugés à l’hôpital des lieux, sans pouvoir jamais être affranchis […].

 

Art. 8

Les enfants qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leurs maris, si les maris et femmes ont des maîtres différents.

 

Art. 9

Voulons que si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, et soient libres comme elle nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père est libre et la mère est esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

 

Art. 10

Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés, et à l’égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.

 

Art 11

Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâton, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l’exception seulement de ceux qui seront envoyés à la chasse par leurs maîtres, ou qui seront porteurs de leurs billets en marques connues.

 

Art. 12

Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noce ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lis ; et en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l’arbitrage des juges ; enjoignons à tous nos sujets de courir aux contrevenants, et de les arrêter et conduire en prison, bien qu’ils ne soient officiers et qu’il n’y ait encore contre les dits contrevenants aucun décret.

 

Art. 14

Défendons aux esclaves d’exposer en vente au marché, ni de porter dans les maisons particulières pour vendre, aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes ou fourrages pour la nourriture des bestiaux, ni aucune espèce de grains ou autres marchandises, sans permission expresse de leurs maîtres, par billet ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restriction du prix par les maîtres, et de six livres d’amende à leur profit contre les acheteurs.

 

Art. 16

Permettons à tous nos sujets, habitants des dits pays, de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargés, lorsqu’ils n’auront pas de billets de leurs maîtres, ni des marques connues, pour être rendues incessamment à leurs maîtres […].

 

Art. 17

Voulons que les officiers desdits conseils supérieurs, chacun en ce qui les concerne, ou les directeurs pour la dite compagnie, nous envoyent leur avis sur la quantité des vivres et la qualité de l’habillement qu’il convient que les maîtres fournissent à leurs esclaves, lesquels vivres doivent leur être fournis par chaque semaine, et l’habillement par chaque année […] ; défendons aux maîtres des dits esclaves de donner aucune sorte d’eau de vie ou guildive, pour tenir lieu de la dite subsistance et de l’habillement.

 

Art. 18

Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certains jours de la semaine pour leur compte particulier.

 

Art. 19

Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, pourront en donner avis au procureur général des dits conseils, procureur pour nous, et mettre leurs mémoires, entre ses mains, sur lesquels et même d’office si les avis lui viennent d’ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais : ce que nous voulons être observés pour les crimes et pour les traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.

 

Art. 20

Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres ; et en ce cas qu’ils les eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l’hôpital le plus proche, auquel les maîtres seront condamnés de payer quatre sous par chaque jour pour la nourriture et entretien de chaque esclave […].

 

Art 21

Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres et tout ce qui leur vient par leur industrie ou par la libéralité d’autres personnes ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs parents et tous autres, libres ou esclaves, y puissent rien prétendre par succession, dispositions entre vifs et à cause de mort, lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

 

Art. 26

L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse, le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

 

Art. 27

Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévèrement punis même de mort s’il y échoit.

 

Art. 28

Les vols qualifiés, même ceux des chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peine afflictive, même de mort si le cas le requiert.

 

Art. 29

Les vols de moutons, chèvres, volailles, grains, fourrages, pois, fèves ou autres légumes et denrées, faits par les esclaves seront punis selon la qualité du vol par les juges, qui pourront s’il y échoit, les condamner à être battus de verge par l’exécuteur de la haute justice, et marqués d’une fleur de lis.

 

Art. 31

L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé à la justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; et s’il récidive pendant un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule et la troisième fois, il sera puni de mort.

 

Art. 32

Voulons que les esclaves qui auront encouru les peines du fouet, de la fleur de lis et des oreilles coupées, soient jugés en dernier ressort par les juges ordinaires, et exécutés sans qu’il soit nécessaire que tel jugement soit conformé par le conseil supérieur […].

 

Art. 33

Les affranchis ou nègres libres qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs seront condamnés par corps, envers le maître, en une amende de dix piastres par chacun jour de rétention ; et les autres personnes libres qui leur auront donné pareillement retraite, en trois piastres d’amende aussi pour chacun jour de rétention, et faute par les dits nègres, affranchis ou libres, de pouvoir payer l’amende, ils seront réduits à la condition d’esclaves et vendus, et si le prix de vente passe l’amende, le surplus sera délivré à l’hôpital.

 

Art. 34

Permettons à nos sujets du dit pays qui auront des esclaves fugitifs en quelque lieu que ce soit, d’en faire la recherche par telles personnes et à telles conditions qu’ils jugeront à propos, ou de la faire eux mêmes, ainsi que bon leur semblera.

 

Art. 35

L’esclave condamné à mort sur la dénonciation de son maître lequel ne sera pas complice du crime, sera estimé avant l’exécution par deux des principaux habitants, qui seront nommés d’office par le juge, et le prix de l’estimation en sera payé, pour à quoi satisfaire il sera imposé par les conseils chacun dans son ressort, ou par les directeurs pour la dite compagnie, sur chaque tête d’esclave, la somme portée, par l’estimation, laquelle sera réglée sur chacun des dits nègres, et réglée par ceux qui seront commis à cet effet.

 

Art. 37

Défendons aussi à tous nos sujets des dits pays de quelque qualité et condition qu’ils soient, de donner ou de faire donner de leur autorité privée la question ou torture à leurs esclaves, sous quelque prétexte que ce soit, ni de leur faire ou faire faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves, et d’être procédé contre eux extraordinairement ; leur permettons seulement, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, de les faire enchaîner ou battre de verges ou de cordes.

 

Art. 39

Voulons que les esclaves soient réputés meubles, et comme tels, qu’ils entrent dans la communauté, et qu’il n’y ait point de suite par hypothèque sur eux ; qu’ils se partagent également entre les co-héritiers, sans précédent et droit d’aînesse, et qu’ils ne soient point sujets au domaine coutumier, au retrait lignager et féodal, aux droits féodaux seigneuriaux […].

 

Art. 41

Les formalités prescrites par nos ordonnances et par la coutume de Paris, pour les saisies des choses mobilières, seront observées dans les saisies d’esclaves […].

 

Art. 42

Voulons néanmoins que le mari, sa femme et leurs enfants impubères, ne puissent être saisis et vendus séparément, s’ils sont tous sous la puissance d’un même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui pourraient en être faites […].

 

Art. 44

Le fermier judiciaire des fonds ou habitations saisis réellement, conjointement avec les esclaves, sera tenu de payer le prix de son bail, sans qu’il puisse compter parmi les fruits qu’il perçoit les enfants qui sont nés des esclaves pendant son dit bail.

 

Art. 48

Enjoignons aux gardiens, nobles et bourgeois, usufruitiers, amodiateurs et autres, jouissant de fonds auxquels sont attachés des esclaves qui y travaillent, de gouverner les dits esclaves en bons pères de famille ; au moyen de quoi ils ne seront pas tenus, après leur administration finie, de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminués par la maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute […].

 

Art. 49

Les maîtres âgés de vingt-cinq ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes entre vifs ou à cause de mort ; et cependant, comme il se peut trouver des maîtres assez mercenaires pour mettre la liberté de leurs esclaves à prix, ce qui porte les dits esclaves au vol et au brigandage, défendons à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu’elles soient d’affranchir leurs esclaves sans en avoir obtenu la permission par arrêt du conseil supérieur ou provincial de l’île où ils résideront, laquelle permission sera accordée sans frais, lorsque les motifs qui auront été exposés par les maîtres paraîtront légitimes […].

 

Art. 50

Voulons néanmoins que les esclaves qui auront été nommés par leurs maîtres tuteurs de leurs enfants soient tenus et réputés, comme nous les tenons et réputons pour affranchis.

 

Art. 51

Déclarons les affranchissements faits dans les formes ci-devant prescrites tenir lieu de naissance dans nos dites îles […], déclarons cependant les dits affranchis, ensemble les nègres, libres, incapables de recevoir des blancs aucune donation entre vifs, à cause de mort ou autrement ; voulons qu’en cas qu’il leur en soit fait aucune, elle demeure nulle à leur égard, et soit appliquée au profit de l’hôpital le plus prochain.

 

Art. 52

Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants, en sorte que l’injure qu’ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne, les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles, que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions, en qualité de patrons.

 

Source : Archives départementales de La Réunion.

 

 

 

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